Un jour est née la louveterie
L’histoire commence sous le règne de Charlemagne, fils aîné de Pépin le Bref et de Bertrade de Laon, dite Berthe au Grand Pied car elle avait un pied plus grand que l’autre. La vie au haut Moyen Âge
La forêt : elle est considérée comme sans limites vers le nord-est, souvent décrite comme sombre, immense et terrifiante même si depuis les mérovingiens, elle est régulièrement défrichée et conquise par la vie rurale. A l’échelon de la France actuelle, elle couvrait encore 60% du pays (25 à 30 millions d’hectares), soit près de deux fois la couverture forestière actuelle. |
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A l’époque du Haut Moyen Age, la population est presque exclusivement rurale et peu importante : le royaume franc, correspondant à peu près à la France d’aujourd’hui dans l’empire de Charlemagne, compte 8 à 9 millions d’habitants ; l’Europe (avec les territoires de l’ex URSS !) ne comportait que 40 millions d’habitants environ pour plus de 730 millions aujourd’hui. Il n’y aurait eu que moins de 300 millions d’habitants sur la terre à l’époque. |
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Les déboisements réguliers se font un peu de façon anarchique autour des villages qui veulent assurer leur subsistance et la forêt devient une annexe des champs: la forêt proche est ainsi fréquentée par les troupeaux…mais aussi par les marginaux et les hors-la-loi pendant les périodes de troubles. Tous ceux qui sont en dehors des normes des villes et châteaux, ceux qui sont en marge des règles, qui veulent échapper à tout contrôle social ou religieux, les lépreux, les bannis, les proscrits, les voleurs se retrouvent en forêt. La forêt est souvent hostile et synonyme de danger. Mythe du loupAu Moyen Age, le premier ennemi de l’homme, celui qui l’empêche d’exercer sa domination de la nature, d’élever ses animaux domestiques, c’est le loup, qualifié de fourbe, cruel et diabolique ; c’est l’époque où l’Eglise catholique le compare au diable ou au compagnon du Malin et prend facilement pour symbole sa douce victime, l’agneau pascal. |
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La crainte qu’il inspirait dans les campagnes fut à l’origine de légendes et récits qui traversèrent les siècles. On lui reprochait de dévorer les troupeaux, de s’attaquer aux hommes. Son hurlement suscitait l’effroi. La grande peur du loup, mangeur d’enfants et de grand-mères : nous avons tous espéré qu’il n’arrive rien au petit chaperon rouge ! |
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Le moyen-âge est marqué par le récit de calamités, climat rigoureux, famines, épidémies: les loups auraient été attirés par les nombreux cadavres sans sépultures. Charlemagne s’organiseCharlemagne n’avait pas à proprement parler de budget d’état mais bénéficiait de revenus personnels considérables provenant principalement de ses « villas » royales, des domaines ruraux qui pouvaient se transformer en riche demeure de villégiature, héritage des belles villas gallo-romaines. Charlemagne détenait le plus vaste patrimoine de tout l’empire. Il possédait dans l’ancienne Francie, en Saxe, en Bavière, en Italie,… des milliers de villas dont certaines dépassaient les 30000 hectares. |
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La villa carolingienne typique est entourée d’un portique en galerie couverte donnant sur une cour intérieure avec une habitation de maître dominée par une tour de défense, des habitations pour les serviteurs et de nombreux bâtiments d’exploitation. Certaines avaient les dimensions d’un palais avant tout pour magnifier le statut social et économique de son propriétaire. La villa se trouvait le plus souvent sur une hauteur dans une région fertile ; elle comportait des terres labourables, des pacages, des étangs, des bois et forêts, parfois des gisements miniers, des salines et des ateliers (forgerons, cordonniers, tanneurs, boulangers, fabricants de cervoise, de cidre, de savon). De nombreuses villas sont à l’origine de villages, voire de villes actuelles. |
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Charlemagne dont le rêve est de reconstituer l’Empire romain d’occident sur le modèle de l’empire de Byzance possède une cour, une administration et une alliance étroite avec l’Eglise. L’unité de l’empire repose sur la mise en place d’une structure administrative hiérarchisée ; le centre du gouvernement est le « palais », résidence de l’empereur. Les cadres locaux de l’administration sont les « comtés » dirigés par les comtes et aux frontières de l’empire se trouvent les « marches ». Dans chaque cité, l’évêque et le comte collaborent…et se surveillent. Ils sont contrôlés dans les territoires frontaliers des « marches » par un marquis qui a autorité sur les comtés de la province et sur les autres territoires par des envoyés, les « missi dominici », de hauts commissaires qui rayonnent à partir d’Aix-la-Chapelle, la capitale de l’Empire où s’installe Charlemagne dès 792. Les missi dominici sont chargés de visiter chaque année toutes les provinces de l’empire, de contrôler les intendants et de faire respecter partout le pouvoir central selon les capitulaires. L’élite de ces fonctionnaires est formée dans la fameuse école palatine d’Aix-la-Chapelle. |
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Charlemagne favorisera également une renaissance culturelle en attirant les savants et lettrés étrangers et en décidant de l’ouverture d’écoles dans tous les évêchés et monastères ; quant à lui, il n’apprit à écrire qu’à la fin de sa vie. Les capitulaires
La législation carolingienne a sa source dans les lois et dans les capitulaires. |
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Le capitulaire est donc un acte « législatif » de l’époque carolingienne ; il est divisé en petits chapitres nommés capitula, d’où le nom de capitulaire. Les capitulaires présentaient une extraordinaire variété ; ils traitaient aussi bien de l’ordre public, des mesures à prendre contre la disette, du service militaire, de la justice, des devoirs des prêtres qui ne devaient pas fréquenter les cabarets et ne pas s’adonner au jeu, etc… Les premiers capitulaires sont rencontrés dès 754 sous le règne de Pépin III le Bref (751-758) ; les derniers au décès accidentel de Carloman II en 884 . Parmi les capitulaires importants publiés sous Charlemagne, il faut citer :
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Capitulare de Villis Karaoli Magni §LXIX – de lupis omni tempore nobis annuntient quantos unusquisque comprehenderit, et ipsas pelles nobis praesentare faciant. Et in mense maio illos lupellos perquirant et comprehendant tam cum pulvere et hamis quam cum fossis et canibus. Au sujet des villas de Charlemagne §LXIX – de tous les temps, on doit nous renseigner au sujet des loups, le nombre capturé et nous montrer leurs peaux. Et en mars, on doit rechercher et capturer les louveteaux aussi bien avec de la poudre et des crochets qu’avec des fossés et des chiens. La création de la louveterie
C’est le capitulaire de 813 qui enfin créa les luparii, les louvetiers. |
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Capitulare secundum anni DCCCXIII Cap. VIII - Ut Vicarii luparios habeant Ut vicarii luparios habeant unusquique in suo ministerio duos. Et ipsi de hoste pergendi et de placito Comitis vel Vicarii ne custodiat, nisi clamor supereum veniat. Et ipsi vertare studeant de hoc ut perfetum exinde habeant et ipsae pelles luporum ad nostrum opus dentur. Et unus quisque de illis qui in illo ministerio placitum custodiunt, detur eis modium de annona. Deuxième capitulaire de l’an 813 Chapitre VIII – Au sujet des propriétaires ruraux qui possèdent des chasseurs de loups (louvetiers)
Les propriétaires ruraux doivent avoir dans leur « ministère » deux chasseurs de loups (louvetiers).Et qu’ils ne s’occupent pas eux-mêmes du passage de l’ennemi ou du décret du Comte ou du propriétaire foncier s’ils ne reçoivent pas d’ordre à ce sujet. Et qu’ils doivent réfléchir à ce sujet qu’à l’avenir ils doivent avoir une ordonnance et que les peaux de loups soient remises à notre ministère. Et qu’à chacun qui dans ce ministère surveille la décision, soit donnée un « modus » (mesure romaine de volume) de la récolte de grains. |
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Les louveteries étaient les groupes d’hommes armés affectés principalement à la chasse du loup qu’ils tuaient par tous les moyens : pièges, poisons, armes blanches, armes de trait, chiens courants, capture dans la tanière et mise à mort des louveteaux, etc... |
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Charlemagne a créé le corps des louvetiers qui au cours des siècles et jusqu’aujourd’hui, s’est structuré, a su s’adapter à ses nouvelles missions. |
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Le 28 janvier 814 après avoir lui-même couronné empereur son fils Louis Ier le Pieux , Charlemagne meurt de pleurésie à Aix-la-Chapelle.
Bernard Collin L’auteur adresse ses remerciements au Dr Gaston Detournay et à Mr Clément Groeninckx qui ont apporté leur contribution à la traduction des textes latins des Capitulaires de Charlemagne et qui restent à l’écoute de toute observation sur l’interprétation qu’ils en ont faite. |